«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

dimanche 22 mars 2009

Ralentissement, Milles Excuses...

Pas mal de conférences intéressantes ces derniers jours, deux articles à boucler (un pour DSI de mai, un autre pour World Politics Review à lire bientôt), une présentation au Collège d'Europe à Bruges, des obligations professionnelles, un déménagement sur Bruxelles, etc. Bref, peu de temps pour mettre ce blog à jour...mais je me rattraperai bientôt! D'ici là, suivez les excellents articles de mes collègues et amis d'Alliance Géostratégique.

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lundi 16 mars 2009

Saisir le "Moment Multilatéral"

La nouvelle politique étrangère américaine, sous l’impulsion de son nouveau président, Barack Obama, s’affirme beaucoup plus multilatérale. Lors de son voyage en Asie, la secrétaire d’état américaine, Hillary Clinton, a ainsi réaffirmé sa préférence pour une approche multilatérale, surtout pour faire face à des défis globaux comme le changement climatique et la crise économique.

Il est donc fort tentant de voir dans cette nouvelle administration la fin de l’unilatéralisme américain. Après tout, le « moment unipolaire » dont parlait Charles Krauthammer en 1990, au sortir de la Guerre Froide, n’est-il pas bel et bien fini ? Le monde d’aujourd’hui n’est-il pas multipolaire, avec l’émergence des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), mais aussi l’affirmation de l’Union Européenne comme acteur global, et la montée en puissance d’acteurs non-étatiques (telles que les multinationales, mais aussi al-Qaïda) ?

Certes, les Etats-Unis ne peuvent plus jouer seul sur le grand échiquier mondial. Mais ils ont toujours un très net avantage sur les autres puissances, que ce soit en terme de ‘hard power’ (puissance militaire) ou de ‘soft power’ (puissance culturelle et économique), même si cet avantage relatif tend à diminuer lentement. Les Etats-Unis se sont d’ailleurs déjà adaptés en développant leur ‘smart power’ (c’est-à-dire un mélange de hard et de soft power).

Ce changement de structure globale ne signifie cependant pas pour autant un glissement automatique de l’unilatéralisme (qui n’est par ailleurs pas inhérent à l’unipolarité) vers le multilatéralisme. On l’a vu sous l’ère de George W. Bush. Il faut donc une véritable volonté politique pour vaincre la tentation unilatérale et se tourner vers le multilatéralisme. C’est ce qu’Obama semble vouloir faire.

Nous entrons aujourd’hui dans un « moment multilatéral ». Le terme « moment » est ici important car il est possible que ce multilatéralisme ne dure pas. Soit parce que le prochain Président américain peut revenir à l’unilatéralisme, soit parce qu’Obama lui-même peut encore parfois se laisser tenter par l’unilatéralisme, notamment lorsqu’il a proposé un plan de relance « buy American » (achetez américain) très protectionniste. En outre, il est possible que la crise économique mondiale repositionne les pions sur l’échiquier global et que les équilibres géostratégiques en sortent bouleversés.

Il est donc important que l’Union Européenne saisisse ce « moment multilatéral », non seulement pour avancer son propre agenda multilatéral, mais aussi pour renforcer les Etats-Unis dans cette approche et façonner ensemble un système de gouvernance mondiale efficace, à notre image, et adapté à la nouvelle structure globale et aux nouveaux défis. L’aiguille du temps trotte. Le moment multilatéral ne sera pas éternel. L’UE pourrait commencer par rassurer son allié outre-atlantique lors du sommet de l’OTAN…

Cet article est crossposté sur le site Alliance Géostratégique.

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mercredi 11 mars 2009

Jihad, Principale Menace contre l'Italie selon un Rapport

Selon un rapport présenté au gouvernement italien, le terrorisme islamiste constituerait toujours la principale menace contre les intérêts italiens en Italie et à l'étranger. On notera avec intérêt que le rapport défini (sans surprise pour les lecteurs de ce blog) les prisons comme un lieu de recrutement privilégié et qu'il met à jour des "synergies avec les groupes de contrebande nord-africains".

Ce dernier point est un peu moins clair pour moi, surtout que je n'ai pas vu le rapport mais seulement son compte-rendu. Bien sûr, on se rappelle des attentats de Madrid (il y a exactement 5 ans aujourd'hui) qui avaient été financés avec l'argent de la vente de cannabis. Mais la question est alors de savoir si ce sont les groupes terroristes qui developpent des réseaux criminels pour générer des fonds ou si cellules terroristes et groupes criminels s'associent selon des termes définis entre eux (ce que laisse entendre le mot "synergie"). Ce dernier cas serait assez neuf en réalité car, jusqu'à présent, l'expérience a plutôt tendu à confirmer la première hypothèse.

Soulignons également que le rapport désigne le leadership central d'al-Qaïda comme toujours déterminant dans les actions des cellules islamistes locales. Cela tend donc à confirmer la théorie hoffmanienne contre celle de Marc Sageman (voir débat ici)...

Le rapport revient également sur l'importance grandissante d'internet, sur le phénomène d'auto-radicalisation, et sur la peur des loups solitaires.

Pour plus d'infos sur le jihad en Italie, voir notamment ici.

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mardi 10 mars 2009

Recommendations pour de Futures Négociations avec les Taliban en Afghanistan

Alors que le Pakistan a signé un accord de paix avec les Taliban dans la vallée du SWAT, offrant à ces derniers l'entièreté du pouvoir sans demande de contrepartie, ce sont maintenant les Américains qui songent de plus en plus à passer des accords avec les Taliban. Cela fait un certain temps que les alliés européens suggéraient cette idée, mais il aura fallu attendre l'arrivée combinée d'Obama à la présidence et du Général Petraeus au commandement des forces en Afghanistan pour prendre cette mesure au sérieux.

Comme souligné ici lors de l'accord pakistanais, il y a un danger inhérent à signer un accord avec les Taliban: c'est un signe de défaite contre les insurgés, ce qui risque d'encourager et de renforcer les forces rebelles; il y a un risque de créer un "terroristan", surtout lorsque cet accord ne comprend aucune contrepartie; il y a un dilemme éthique à remettre le pouvoir à un groupe dont le non respect des valeurs humanistes et démocratiques est évident; enfin cela envoie un signal clair aux populations locales, à savoir que le gouvernement n'est pas capable d'assurer leur protection.

D'un autre côté, il faut bien reconnaître que dans la situation de chaos actuelle, et étant donné la faible probabilité d'un accroissement considérable des forces internationales en Afghanistan, il est inévitable de collaborer avec les acteurs de pouvoir locaux. Sans l'aide de ces derniers, jamais les forces de la coalition n'arriveront à stabiliser l'Afghanistan et à gagner "le coeur et les esprits" des populations locales. Ces acteurs locaux ne sont généralement pas les gouverneurs ou les policiers (souvent corrompus et ne bénéficiant d'aucune légitimité locale) mais plutôt les chefs tribaux et, dans certains cas, les Taliban.

Dès lors, il convient d'étudier plus en profondeur les structures tribales de l'Afghanistan et les différents courants présents au sein des Taliban. En effet, comme très bien expliqué dans cet article, les Taliban ne forment pas un groupe homogène. Evidemment, même le Taliban le plus modéré a des valeurs complètement antagonistes aux nôtres, et ils considèrent même sans doute l'occident comme un ennemi. Mais en offrant de négocier à certains groupes tribaux et à certains Taliban modérés, tout en exigeant des garanties fortes et en assurant un suivi poussé (contrairement à ce qu'ont fait les Pakistanais), il est encore possible d'éviter une faillite totale de l'état afghan.

En d'autres mots, il s'agit d'encourager les forces modérées tout en continuant de chasser les extrémistes. Au fond, que cela nous plaise ou non, avons-nous encore d'autre choix?

Cet accord devra également se faire sur une base régionale, au risque, sinon, de ne faire que repousser les problèmes. En effet, si les Pakistanais signent des accords avec les Talibans anti-Américains et que les forces internationales négocient avec les Taliban anti-Pakistais, on risque de créer non pas un, mais deux "terroristan". Il convient donc d'inclure les puissances régionales voisines dans toute stratégie de négociation afin de trouver un deal solide et durable.

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dimanche 8 mars 2009

IRA et la Signification du terme Victoire

Un nouvel attentat a été commis en Irlande du Nord par l'IRA véritable, groupe dissident de l'IRA, tuant 2 soldats britanniques. Cet attentat nous rappelle que le terrorisme ne prend pas fin facilement ni instantanément. Lorsqu'un groupe est démantelé d'une manière ou d'une autre, certains membres plus radicaux émergent souvent afin de continuer les activités illicites par tous les moyens. En Irlande, l'IRA a mis officiellement fin à ses activités en 2005 en s'engageant sur la voie politique. Pourtant, les violences ont continué par après, de l'oeuvre d'autres groupuscules. Ces faits doivent simplement nous rappeler que la violence politique traverse nos sociétés et peut être canalisée, pas éliminée. Ces leçons s'appliquent également aujourd'hui à l'Irak et l'Afghanistan. A nous, dès lors, de nous interroger sur le seuil de violence politique "acceptable" précédant le retrait des troupes occidentales. En d'autres mots, il est temps de définir ce que signifie le mot "victoire". Ce débat, bien entendu, n'est pas neuf. Mais il demeure essentiel...sans doute plus dans le cadre irakien qu'afghan dans la situation actuelle...

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mardi 3 mars 2009

Analyse Quantitative du Terrorisme International en Europe (1968-2008)

Une étude quantitative assez intéressante est parue (en espagnol) dans le dernier numéro de Athena Intelligence Journal, intitulée "Analyse quantitative du terrorisme international en Europe occidentale (1968-2008)", signée Domingo Jimenez Martin. Comme son titre l'indique, cette étude se base sur toutes les attaques du terrorisme à caractère international (c'est-à-dire pas l'ETA au Pays Basque ou l'IRA en Grande-Bretagne par exemple) qui ont frappé l'Europe occidentale. D'un point de vue méthodologique, notons tout de même d'emblée que l'on regrettera l'absence de définition de ce "terrorisme international", de même qu'une justification quant à la sélection des pays (par exemple, la Suisse et la Norvège sont inclus, mais pas le Luxembourg, l'Irlande ou la Finlande).

Ce détail important mis à part, cette étude offre une perspective fort intéressante sur le phénomène terroriste en Europe. L'auteur recence ainsi 277 actions terroristes en 40 ans (mais attention: il se restreint aux attaques qui ont fait au moins une victime mortelle, ce qui est une autre limite non négligeable de cette étude).

La plus grande partie de ces attentats (28,1%) étaient le fait de groupes palestiniens. Ensuite, 16,6% des attaques étaient l'oeuvre de chiites radicaux libanais ou iraniens. Les jihadistes (sunnites radicaux) quant à eux ne représentaient que 4% de l'ensemble des attentats.

Les années 1980 regroupent la grande majorité (143 sur 277) des actions terroristes, alors que la décennie 2000 est pour ainsi dire la moins marquée par le terrorisme international, avec seulement 13 attaques. On note aussi que le phénomène jihadiste est(statistiquement) récent puisque les premières attaques (mortelles) n'apparaissent que dans le nouveau millénaire. Les années 1980 étaient également les plus mortelles, même si l'attentat de Lockerbie (296 morts) en est largement responsable.

Par contre, bien que récent et statistiquement peu actif, les actions attribuées au Jihad global comptabilisaient 23,6% des victimes mortelles du terrorisme international. Cette donnée explique - en partie - pourquoi le phénomène jihadiste à susciter des réactions bien plus prononcées que les autres formes de terrorisme international.

Durant 40 ans, les deux pays les plus touchés par le terrorisme international furent le Royaume Uni et l'Espagne, suivis par la France et la Grèce. Par contre, Paris a été la ville la plus directement touchée, avec 20,9% du total des attentats perpétrés en Europe.

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Publication: Les Cahiers du RMES

Les derniers Cahiers du RMES viennent d'être publiés. Dedans, vous y trouverez un article d'Alain De Neve (Chercheur à l'Institut Royal de Sécurité et de Défense), de Joseph Henrotin (Rédacteur en chef de DSI) - Alain et Joseph sont par ailleurs tous deux mes "collègues" au sein de la toute récemment créée mais déjà prometteuse Alliance Géostratégique - ainsi qu'un article d'André Dumoulin (Professeur à l'Ecole Royale Militaire).

J'y publie également (en temps que membre de l'Institut Royal des Relations Internationales, décidément ça fait beaucoup de représentants de tous les Centres Royaux de notre petite Belgique dans une seule publication...) un article sur le Jihad en Allemagne, et plus particulièrement sur la filière ouzbèke (Union du Djihad Islamique) qui a considérablement accru la menace terroriste malgré des moyens limités.

Voici le sommaire:

Djihad en Allemagne : La Connexion Ouzbèke
Par Thomas Renard

La presse écrite francophone de Belgique et la PESD
Par André Dumoulin

Les ré(é)volutions du caméléon. Combat futur et formation des structures de force entre Transformation, guerres hybrides et nouvelles formes d’application des conceptions de techno-guérilla
Par Joseph Henrotin

Military USes of Nanotechnology: An Overview of Trends in Investments, Expected Outcomes and Potential Impacts on Arms Control Regimes
Par Alain De Neve

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dimanche 1 mars 2009

Au Coeur du Débat Stratégique: Naissance d'Alliance GéoStratégique


Le débat stratégique est en grand renouvellement, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en France. Il reste toutefois confiné dans des formes bien connues (instituts, revues, colloques) sans prendre en compte la nouvelle communication numérique qu’est l’internet. Or, si ce nouvel média est utilisé, c’est de façon classique par la mise en ligne d’informations imprimées. Le débat n’a jusqu’à présent pas pris en compte les qualités permises par Internet : universalité, réactivité, diversité, pour ne citer que les principales. Les blogs répondent à ces exigences et la blogosphère stratégique francophone vient de se fédérer autour de la plate-forme Alliance Géostratégique, qui devient d’emblée un acteur incontournable du débat.

Dans son numéro de décembre dernier, Défense Nationale & Sécurité Collective (DNSC) a laissé la parole à Alain Bauer qui évoquait ses projets de concentration de la recherche stratégique française.

En effet, tous les spécialistes s’accordent à reconnaître que la France est le seul lieu occidental d’une pensée alternative à la pensée américaine. Ailleurs, l’atlantisation des esprits règne, même si la saveur européenne, due à une richesse culturelle évidente, permet des expressions moins radicales que celles d’outre-Atlantique. Mais il s’agit de modalités, de tempéraments et de nuances, et non d’altérité. Il faut bien constater que seule la France produit une pensée stratégique à peu près autonome(1), même si elle se détermine aussi par rapport aux débats américains – comment pourrait-on ignorer les réflexions sur la « transformation », sur la cyberguerre, sur la technologisation de la guerre, sur l’approche globale... Preuve paradoxale de cette différence : ce sont les Américains qui ont redécouvert Galula et Trinquier, grâce aux efforts du général Petraeus.

Tout est-il pour autant satisfaisant ?

Le débat stratégique en France

Non, car la question est celle des lieux de débat : quels sont aujourd’hui en France les lieux du débat stratégique et géopolitique contemporain ? Ils s’avèrent finalement assez limités et ne tiennent pas assez compte du public.

Public : le grand mot est lâché. Il est double, puisqu’il s’agit aussi bien d’un adjectif (ce qui est public appartient à la sphère de l’Etat) que d’un substantif (le public qui lit, observe, et chose incroyable, pense). Or, les lieux de débats sont « publics » et, en fait quasi étatiques, sans être assez tournés vers le public.

La première scène regroupe les institutions propres au ministère de la défense (2). Les quatre instituts (IHEDN, CHEAr, IHESI, INHES) (3) vont donc être regroupés en deux piliers (l’un défense, l’autre sécurité intérieure), et incorporeront le CEREM, qui s’était construit peu à peu ces dernières années et produisait un excellent travail. Peut-on dire amicalement que ces institutions tiennent autant du centre de recherche que du club d’initiés qui permet la constitution de précieux réseaux : lieux incontestables d’influence décisionnelle, les débats qui s’y déroulent ont le mérite – et le défaut – de l’entre-soi : ils sont assez fermés. Espérons donc que le CEREM poursuivra sa politique de publication en ligne de ses travaux. Mais l’ensemble est très étatique, donc, et pour tout dire, opaque.

Autre lieu, et sans être exhaustif, les laboratoires d’idées : Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Institut des Relations Internationales & Stratégiques (IRIS) connaissent une notoriété certaine et justifiée. Mais le premier est totalement étatique, quand les deux autres dépendent dans une très large mesure des subsides de l’Etat. Cela n’affecte pas la qualité de leurs travaux, mais rétrécit le champ de leurs recherches.

Les sociétés privées de sécurité (Géos, Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique,...) ont certainement des analyses judicieuses : mais comme elles sont privées, elles sont payantes. C’est d’ailleurs le défaut des lettres d’information (TTU, La Lettre A, La Lettre du Continent,...) : intéressantes, mais confidentielles.

Revues et médias

Ces instituts publient des revues, espace évident de partage des idées. La diffusion est plus ou moins large : le RAMSES est devenu une institution automnale, et la Revue de l’IRIS a trouvé son public. D’autres revues existent, et tout d’abord notre cher Défense Nationale et Sécurité Collective, qui a su depuis une dizaine d’années échapper à la seule présentation des thèses institutionnelles pour devenir un espace d’expressions diverses et contradictoire. Citons en passant Défense (revue de l’IHEDN), Géopolitique, les Cahiers du CHEAr, Les Cahiers de Mars, etc...

Encore plus confidentiels mais indépendants, citons entre autres AGIR (du général de La Maisonneuve), Stratégique (de l’Institut de Stratégie Comparée, dirigé par H. Couteau-Bégarie). Les revues universitaires existent également : à tout seigneur tout honneur, Hérodote a conquis un public fidèle.

Signalons enfin deux initiatives privées qui ont su conquérir le grand public : je veux parler de Défense & Sécurité Internationale (DSI) qui revendique 120 000 lecteurs et Diplomatie (bimensuel) : la diffusion peut accompagner la qualité.

L’audiovisuel permet des diffusions intéressantes : on citera Le Dessous des Cartes, excellente émission de géopolitique animée par J.-Ch. Victor sur Arte, ou Les Enjeux Internationaux, de Thierry Garcin sur France Culture. Mais il faut bien constater qu’on trouve peu d’émissions stratégiques, hors les enquêtes particulières suscitées par l’actualité.

Les supports existent donc, mais pâtissent des défauts d’un modèle univoque : le média parle, le lecteur achète : et ce n’est pas le courrier des lecteurs (qui est d’ailleurs la plupart du temps absent de toutes les revues citées) qui permet le débat. Tout juste a-t-on, parfois, un article qui répond, trois numéros plus loin, à l’article précédent qui présentait une thèse iconoclaste. Lent et engoncé.

A l’heure de l’ultra-communication, ce n’est évidemment pas suffisant. Le public n’y trouve pas son compte. Il n’est que consommateur, et non acteur du débat. Cette logique appartient au passé.

L’internet

Il y a internet, nous dit-on. Allons justement y faire un tour. Des sites institutionnels existent : par exemple, et sans souci d’exhaustivité, celui de DNSC, celui des laboratoires précédemment cités (FRS, IFRI, IRIS) parfois celui d’autres revues. Mais ce transfert sur la toile de productions originellement imprimées n’utilise pas vraiment les ressources de ce nouveau « media », notamment les aspects interactifs de l'Internet « social » (ou Web 2.0). Car l’Internet permet également d’heureuses innovations : ainsi, l’ISC est désormais intégralement sur Internet et met en ligne énormément de ressources, mais de manière très irrégulière. Signalons également l’excellent Courrier des Balkans, de J. A. Derens, ou le Centre d’Études Transatlantiques, jeune laboratoire d’idées fondé par A. Le Parmentier. Les Cahiers du RMES paraissent uniquement sur la toile, deux fois l’an. Le site de la Société française d’études militaires, créée par Y. Boyer justement pour créer un espace alternatif de débat, peine à s’animer. Diploweb, dirigé par J. Verluysse, a une certaine surface mais selon un mode propriétaire qui ne favorise pas le débat.

Tout cela est finalement assez figé : on transpose sur Internet le fonctionnement habituel des revues : il ne s’agit que de revues en lignes qui maintiennent la hiérarchie entre l’auteur et le lecteur, ce dernier étant en position toujours subordonnée et captive. Il n’a qu’une seule alternative : lire, ou ne pas lire. A contrario d’Hamlet, ce n’est pas le débat !

Alors, comment Internet peut-il apporter quelque chose de nouveau ? Surtout, qu’est-ce qui est « nouveau » et qui échappe aux limites constatées ci-dessus ?

La nouveauté serait d’avoir de nouveaux critères : une certaine spécialisation autour des thèmes stratégiques et géopolitiques ; un rythme fréquent de publication (au mieux quotidien, mais en tout état de cause plus rapide que le mensuel) ; une diversité de points de vue ; une diversité de sources (Web 2.0) ; une exigence d’écriture qui dépasse la seule opinion et favorise l’analyse ; une possibilité de réaction immédiate des lecteurs ; l’indépendance par rapport à l’Etat, aux doctrines propres à chaque institut, ou par rapport à des intérêts privés.

La blogosphère

Cet outil existe : c’est le blog. Il y en a de plusieurs types. Regardons ce qu’il en est.

Le moins intéressant, à coup sûr, est le blog promotionnel : sous couvert de publication de billets, selon un rythme aléatoire, l’auteur promeut ses activités, ses conférences, ses prises de paroles publiques. C’est très ennuyeux, et je n’aurai pas la cruauté de les citer. Ce n’est pas parce qu’on a un blog qu’on est moderne, et encore moins qu’on a quelque chose à dire : quant à la notion de partage, elle est absente de la perspective.

Beaucoup plus intéressant est le blog journalistique : citons à cet égard le blog de J.-D. Merchet, spécialiste de défense à Libération; celui de J. Guisnel, du Point; celui de N. Gros-Verheyde sur la PESD; celui de V. Jauvert sur l’actualité internationale; ceux du Monde Diplomatique; celui de P. Rousselin, celui de J. Quatremer sur les coulisses de Bruxelles, etc...

Intéressant, certes, mais très institutionnel, et pour deux raisons : la première tient à ce qu’il s’agit de blogs hébergés, la plupart du temps, par les journaux employant ces journalistes. Il s’agit pour ces journaux, de façon parfaitement légitime (il en va de leur survie économique) de trouver leurs lecteurs au moyen d’Internet. Surtout, les journalistes qui écrivent ces blogs estiment souvent que grâce à leur professionnalisme, ils sont seuls autorisés à être le truchement de l’expression médiatique.

Eux seuls présenteraient les garanties déontologiques pour transmettre de l’information. Cela est en partie vrai : mais c’est très discutable à l’heure d’Internet puisque chacun devient un peu journaliste ; puisque chacun peut être le reporter de l’événement auquel il a assisté et qu’il peut décrire et illustrer grâce aux photos et vidéos qu’il a prise ; puisqu’en fait, les journalistes n’ont plus le monopole de l’information, même s’ils en demeurent des acteurs essentiels. En fait, leur rôle a changé et s’ils continuent de trouver et diffuser l’information (la fonction d’enquête demeure), ils doivent aussi l’analyser ce qui deviendra, de plus en plus, leur plus-value.

Ceci explique que les blogs de journalistes ne présentent pas l’esprit « blog » qui est en usage ailleurs, constitué de liens et de débat. Ils sont ainsi très spécialisés (MM. Merchet et Guisnel ne produisent que de l’information sur la chose militaire, et jamais sur les débats stratégiques) ; les réactions sont donc très dispersées et parfois excessives (J.D. Merchet a été obligé de fermer l’accès aux commentaires) ; enfin, ils ne mettent en lien que des blogs « professionnels » de journalistes comme eux, selon une logique presque corporatiste, et qui court le risque d’être pontifiante. Ce sont donc des blogs très utiles (surtout qu’ils répondent à une demande profonde d’information du public, et notamment du public militaire), mais pas totalement satisfaisants pour l’amateur de débat stratégique.
Alliance Géostratégique

C’est en réaction à ces manques qu’une blogosphère stratégique francophone s’est développée ces deux dernières années. Et qu’elle vient de créer une plateforme commune : « Alliance géostratégique ».

Alliance, car nous ne voulions pas être un comité, un institut, une société, un mouvement, un rassemblement, une fédération.... Tous ces mots ont été trop utilisés. L’alliance fait référence à la vieille « alliance française », premier instrument de la francophonie (car il s’agit, on l’aura compris, de blogs d’expression francophone). Le mot, presque désuet, revêt justement une certaine fraîcheur ; surtout, il s’agit d’un portail de blogs francophones (français, belges, canadiens, camerounais) ; l’alliance appartient par ailleurs au vocabulaire de notre champ d’intérêt, qui est géostratégique. Et pour tout dire, nous ne nous sommes pas beaucoup attardés sur le sens véritable du mot « géostratégique » : il nous convient, à cause de son imprécision, car il est au centre de nos préoccupations à la fois stratégiques et géopolitiques. Certains sont plus intéressés par la stratégie, d’autres par la géopolitique. C’est justement cette diversité et cette complémentarité qui fait notre intérêt.

Diversité ? oui, nous sommes quinze auteurs de blogs, d’origine et d’âge bien variés : des jeunes étudiants et des actifs établis (de 19 à 45 ans), des spécialistes de défense ou des amateurs exerçant dans un tout autre champ; nous sommes professeur, journaliste, expert financier, fonctionnaire de tout type, historien, géographe, infographiste, informaticien, politologue.... Français, Belges, Africain, ou expatriés (Europe, Amérique du Nord, Afrique). Bref, nous sommes à l’image de notre public.

Le public, justement, parlons en : en cumulant nos audiences, nous arrivons à 2500 visites quotidiennes pour 5000 pages vues en moyenne.... Et 10 % des accès proviennent déjà de pays autres que la France et la Belgique. Déjà, nous sommes lus par des professeurs d’université, des chercheurs, des décideurs politiques, des journalistes, des officiers supérieurs, des hauts-fonctionnaires d’administrations nationales ou internationales, d’Europe, d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie, des industriels, des spécialistes d’intelligence économique,… mais aussi et d’abord par des citoyens intéressés par la stratégie.

Signalons la qualité de ce public : lors de l’offensive israélienne sur Gaza, en janvier, nous avons bien sûr publié de nombreuses analyses : mais nous n’avons eu à déplorer aucun commentaire déplacé, à la différence des échanges publics le plus souvent injurieux qui se déchaînaient au même moment partout ailleurs sur la Toile. C’est que ces billets ont permis un débat entre nous : débat public, débat articulé, débat contradictoire, débat exigeant, qui nous a permis collectivement de nous enrichir. Car une motivation partagée par la plupart d’entre nous, quand nous nous lançâmes dans l’aventure personnelle, était justement de trouver des gens avec qui parler, au lieu de rester dans notre coin, comme des consommateurs inactifs.

Ce qui est vraiment nouveau, c’est que le débat vient du bas vers le haut : ce n’est pas cette origine qui entraîne une moins bonne qualité, au contraire. Surtout, le débat est extrêmement réactif à l’actualité, grâce au format de blog que n’ont pas les institutions. Dès lors, en additionnant touts les billets écrits, l’alliance met en ligne chaque mois plus de pages que la plupart des instituts.

Cet enrichissement, nous voulons le partager. C’est pourquoi nous avons créé cette plate-forme commune, qui est une étape supplémentaire dans l’organisation du débat stratégique en général, et de la blogosphère en particulier.

Il fallait en effet conserver la richesse des blogs individuels, et donc l’investissement personnel de chacun, seul responsable de ses analyses et de son blog ; mais il fallait en même temps un espace partagé, qui permette à la fois une meilleure visibilité, mais aussi un meilleur débat. Alliance Géostratégique sera donc plus qu’une fédération de blogs, même si c’est d’abord une fédération de blogs. Nous aurons ainsi chacun notre identité (et donc notre responsabilité) éditoriale, tout en ayant un espace commun. Celui-ci servira non seulement à apercevoir, d’un seul coup d’œil, la production de tous les blogs « alliés », mais il aura une partie rédactionnelle propre : éditoriaux, débat du mois, ressources, comptes-rendus de colloques ou de lecture, actualité des revues...

Alliance Géostratégique n’entre donc pas en concurrence avec les autres acteurs du débat stratégique et géopolitique : c’est simplement un nouvel acteur, qui tire profit des facultés d’Internet en permettant à la fois l’expression individuelle, la modération des débats, le dialogue en temps réel des spécialistes et de la société civile.

Ni concurrents, ni alternatifs, juste complémentaires.

Cet outil ne peut être que le vôtre.

Alliance Géostratégique : les membres d’Alliance Géostratégique sont des blogueurs francophones partageant les mêmes exigences et la même volonté de vivifier le débat stratégique contemporain.

Cet article est crossposté dans Alliance Géostratégique et dans tous les blogs membres.

1.Autonomie à l’intérieur de l’espace occidental, car on néglige souvent, et probablement à tort, ce qui peut se dire à Moscou, Dehli ou Pékin...
2.On ne mentionnera pas ici les organismes attachés directement aux administrations : Délégation au Affaires Stratégiques au MD, Centre d’Analyse et de Prévision au Quai d’Orsay, voire SGDN auprès de Matignon. Les analyses produites sont fort pertinentes mais à l’usage exclusif du pouvoir exécutif : il est donc légitime que ces organes conservent la confidentialité de leurs travaux. Ils n’entrent donc pas dans le champ de cet article.
3.Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale - Centre des Hautes Etudes de l’Armement - Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure - Institut des Hautes Etudes de Sécurité.

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