L’Allemagne a entamé l’un des plus importants procès de son histoire. Ce mercredi 22 avril, à Düsseldorf, débute le procès des membres de la « cellule du Sauerland », arrêtés le 4 septembre 2007 par un commando d’élite. Selon les enquêteurs, ils étaient sur le point de lancer une action terroriste qui aurait pu être plus importante que les attentats de Madrid en 2004.
Fritz Gelowicz, le chef présumé de la cellule, et ses comparses, Attila Selek, Adem Yilmaz et Daniel Schneider, étaient liés au groupe terroriste ouzbek appelé Union du Djihad Islamique (UDI). Ils sont tous soupçonnés d’avoir reçu un entraînement djihadiste dans un camp de l’UDI au Pakistan en 2006. Durant leur passage au Pakistan, ils ont également noué des contacts avec les responsables de l’UDI qui leur ont, en toute vraisemblance, confié une mission en Allemagne.
Les individus avaient déjà attiré l’attention des services de renseignement allemands avant leur départ pour le Pakistan. Cependant, après leur retour, les activités suspectes des jeunes individus allument plusieurs voyants rouges dans la communauté des services de sécurité en Allemagne, mais aussi aux Etats-Unis. Les deux pays commencent alors à collaborer étroitement en octobre 2006, dans le cadre de l’ « Opération Alberich ».
Les membres de la cellule du Sauerland sont alors suivis et mis sur écoute. C’est de cette manière que la police criminelle allemande (BKA) surprend une conversation, le 20 juillet 2007, entre Gelowicz et Yilmaz qui parlent du complot : « Deux cents kilos avec des petits éclats contendants, si Dieu le veut, ça devrait faire une grosse explosion », lance Gelowicz. Ils continuent ensuite à discuter des cibles potentielles et concluent par l’espoir de tuer au moins 150 personnes.
Au moment de leur arrestation dans une petite maison isolée d’Oberschledorn, Gelowicz, Yilmaz et Schneider avaient en leur possession 730 kg de peroxyde d’hydrogène à faible concentration, ce qui leur aurait permis de produire, après manipulation, plusieurs centaines de kilos d’explosifs afin de mener à terme leur projet.
La date et la cible des attentats demeurent inconnues. Cependant, au vu de l’état d’avancement des préparatifs et suite à l’appel d’un membre de l’UDI pour presser les Allemands de passer à l’action, les services de renseignement avaient la conviction que l’attaque était imminente. Au niveau de la date, deux possibilités se dégagent. Soit le 11 septembre, ce qui correspondait à un geste symbolique fort d’allégeance à al-Qaïda ; soit le 13 octobre, date qui avait apparemment la préférence de Gelowicz et correspondait à la fin du mandat parlementaires des troupes allemandes en Afghanistan et faisait l’objet d’un vote ce jour-là, ce qui aurait indiqué un choix plus pragmatique visant à avoir une influence directe et immédiate sur la politique étrangère de Berlin, sur le modèle des attentats de Madrid.
En ce qui concerne la (ou les) cible(s) des attentats, il semble que le choix était également le fruit d’intenses discussions entre les membres de la cellule, ainsi qu’entre la cellule et le leadership de l’UDI au Pakistan. L’UDI semblait vouloir toucher les ambassades américaines et ouzbèkes, ainsi que la base militaire américaine de Ramstein, afin de faire un triple coup en touchant à la fois l’Ouzbékistan (qui demeure l’objectif principal de l’UDI), les Etats-Unis (en protestation, entre autres, contre leur présence en Afghanistan) et l’Allemagne (qui est à la fois présente militairement en Ouzbékistan et en Afghanistan). De leur côté, les membres de la « cellule du Sauerland » évoquaient également l’aéroport de Francfort et d’autres endroits publics, comme des discothèques fréquentées par des Américains.
Ces divergences au niveau des choix tactiques révèlent la relative autonomie, pour ne pas dire indépendance, dont jouissent les « cellules locales » appartenant à un « réseau global ». Au-delà de l’allégeance vouée à l’UDI et à son leadership, les individus retournés en Europe ont su s’adapter à leur environnement et ajuster leurs plans sur base de leur propre jugement. Au fond, cette autonomie constitue à la fois la force de ces cellules, mais peuvent tout aussi bien nuire à la stratégie du groupe, et dans tous les cas sont un signe de faiblesse du leadership central.
Jusqu’au complot du Sauerland, l’Allemagne se pensait relativement épargnée par le terrorisme islamiste, en raison de sa population musulmane majoritairement turque et modérée. Or, c’est justement en tirant avantage de la langue turque (l’Ouzbékistan est un pays turcophone) que l’UDI est parvenu à s’implanter en Allemagne. Parallèlement, la quantité et la qualité de la propagande djihadiste destinée à l’Allemagne se sont considérablement accrues ces dernières années. Désormais, chaque année, entre 50 et 100 individus rejoignent les camps d’entraînement djihadistes, la plupart au sein de l’UDI. Certains rentrent ensuite en Allemagne, alors que d’autres restent en Afghanistan ou au Pakistan pour combattre les forces de la coalition.
Le théâtre allemand accueille maintenant une importante scène islamiste au niveau européen. L’activisme islamiste n’y est pas encore aussi développé qu’en Grande-Bretagne, en France ou en Espagne, mais il a rejoint une proportion presque comparable à ce qui est observé en Italie, par exemple. Cela correspond clairement à un saut quantitatif, mais aussi qualitatif, de la menace djihadiste locale en quelques années.
L’Allemagne se retrouve aujourd’hui prise de force, plus que par volonté, dans la lutte contre le terrorisme international. Elle ne constitue plus seulement une base arrière à partir de laquelle les terroristes peuvent préparer des attentats (comme ceux du 11 septembre, par exemple), mais elle est directement menacée par des individus radicalisés sur son propre territoire et qui obéissent à un groupe basé au Pakistan, proche d’al-Qaïda. La lutte contre le terrorisme s’opère donc – ou devrait s’opérer – logiquement sur deux fronts : en Allemagne et en Afghanistan (et au Pakistan).
Et pourtant, sur ces deux fronts, la réponse allemande est encore inadaptée sous bien des aspects. En Afghanistan, les engagements militaires et civils allemands restent limités par rapport aux capacités du pays. En Allemagne, c’est au niveau juridique que le plus gros du travail reste à faire. Depuis le complot du Sauerland, une nouvelle loi a été décidée qui punira le fait d’avoir suivi un entraînement dans un camp terroriste, ou de posséder du matériel explosif. Cependant, cette loi essentielle n’est pas encore en vigueur et ne pourra pas servir dans le cas du procès actuel. Dès lors, le procureur devra démontrer l’appartenance des individus à un groupe terroriste étranger (section 129b du code criminel prévoyant une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans), ce qui pourrait s’avérer utile ensuite lors de l’appréhension d’autres membres de l’UDI en Allemagne.
jeudi 23 avril 2009
L'Allemagne face au Djihad: Début du Procès du Sauerland
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Libellés : Al-Qaïda, Europe, Terrorisme
lundi 20 avril 2009
CTC Sentinel sur le Terrorisme en Belgique
Le dernier numéro du CTC Sentinel, la revue de West Point consacrée au terrorisme, est sorti. Comme toujours, je vous recommande vivement cette saine lecture! Tom Ricks et le Small Wars Journal aussi, soit dit en passant...
Dans un article court mais dense et instructif, Paul Cruickshank, chercheur à l’Université de New York, revient sur l’arrestation de 14 islamistes en Belgique, et deux en France, le 11 décembre 2008, suspectés de planifier une attaque terroriste imminente. De façon assez remarquable, puisque basé aux Etats-Unis, Paul Cruickshank offre sans doute la meilleure analyse disponible à ce jour sur ces événements et ses implications pour la Belgique et l’Europe, après avoir interrogé plusieurs membres des services de renseignement et avoir eu accès aux témoignages des suspects.
Les jeunes islamistes auraient été recrutés grâce aux efforts du couple Moez Garsallaoui/Malika el-Aroud, la veuve de l’assassin du commandant Massoud. Tandis que Garsallaoui parcourait les rues et les mosquées de Bruxelles à la recherche de jeunes recrues, el-Aroud assurait la propagande djihadiste au travers de son site internet « Minbar SOS ». Selon le témoignage de certains suspects, un groupe de volontaires seraient partis pour l’Afghanistan/Pakistan, en transitant par la Turquie (Istanbul) et l’Iran (Zahedan), ce qui correpond à l’itinéraire utilisé par d’autres cellules, notamment celles de l’Union du Djihad Islamique (UDI) en Allemagne. Toujours selon les suspects, ils auraient été recueillis avec suspicion et de façon désordonnée par les membres d’al-Qaïda, ce qui semble refléter l’affaiblissement (paranoïa, désorganisation) et la décentralisation (cellules de 10 combattants maximum) du groupe terroriste, même dans son bastion.
La raison du retour des volontaires djihadistes en Belgique demeure inconnue. Ces derniers affirment qu’ils étaient frustrés de ne pouvoir combattre en Afghanistan et qu’ils ne supportaient plus les conditions d’existence minimales. Leur arrestation, cependant, est basée sur la suspicion qu’ils constituaient une cellule opérative en Europe, prête à passer à l’action.
Comme le souligne très justement Paul Cruickshank, ces arrestations soulignent à quel point l’Afghanistan et le Pakistan (AfPak) sont devenus le nouveau point focal de la menace terroriste contre l’Europe, en parallèle, bien sûr, avec l’Afrique du Nord. En réalité, l’AfPak a remplacé l’Irak comme destination et comme inspiration pour les djihadistes en Belgique et ailleurs en Europe.
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Libellés : Afghanistan, Al-Qaïda, Europe, Pakistan, Terrorisme
dimanche 19 avril 2009
(Lent) Déclin du Terrorisme en Europe, selon Europol
Le terrorisme a reculé en Europe en 2008, par rapport à l’année précédente, selon le rapport annuel publié par Europol (TE-SAT 2009). Il y a eu 515 attaques, dont 90% ont réussi, menées dans sept états membres de l’Union Européenne (UE). Néanmoins, cette baisse d’activisme doit être nuancée par un accroissement des activités de propagande terroristes, surtout islamistes, en vue de recruter de nouveaux membres. Ainsi, en 2008, le nombre de sites islamistes extrémistes publiés dans des langues européennes a augmenté, permettant à ces groupes de toucher une plus grande audience. Dans l’ensemble, la plupart des pays européens continuent de considérer le terrorisme islamiste comme la principale menace contre leur sécurité.
Une seule attaque a été menée en Europe au nom du djihad en 2008, en Grande-Bretagne. Ce chiffre contraste fortement avec les 397 attaques menées par des groupes séparatistes. Cependant, étant donné que les djihadistes cherchent à faire un maximum de victimes, alors que les séparatistes cherchent plutôt des cibles symboliques et matérielles, le niveau de menace varie de manière notoire. D’ailleurs, 187 individus ont été arrêtés en lien avec des enquêtes sur l’extrémisme islamiste, ce qui représente une légère diminution par rapport à 2007, mais demeure élevé. La plupart des individus arrêtés ne faisaient pas partie de grandes cellules, mais plutôt de petits groupes isolés, voire même agissaient seuls (‘lone wolves’), ce qui tend à confirmer une atomisation du terrorisme islamiste en Europe, facilitée par les nouvelles technologies tant au niveau de la communication que du recrutement (auto-radicalisation), et un rôle déclinant du leadership d’al-Qaïda davantage limité à l’inspiration idéologique et à l’aide à l’entraînement.
Les séparatistes restent les terroristes les plus actifs, même si leurs activités ont diminué par rapport à 2007. 98% des attaques séparatistes ont eu lieu en France (Corse) et en Espagne (Pays basque). Les terroristes corses et basques ne s’attaquent généralement pas au même type de cibles. Les premiers visent plutôt les propriétés privées, alors que les seconds visent les symboles du gouvernement. De manière intéressante, les services de renseignement espagnols ont noté un baisse d’utilisation d’explosifs commerciaux par l’ETA et un recours accru aux explosifs improvisés (IEDs), ce qui pourrait témoigner d’une difficulté d’obtenir des explosifs, mais indique aussi que les terroristes basques s’inspirent de modèles développés avec succès ailleurs, notamment en Irak.
Enfin, la seule forme de terrorisme ayant connu une augmentation en 2008 est le terrorisme d’extrême-gauche, qui a causé 28 attaques en Grèce, en Espagne et en Italie, sans faire ni blessés ni morts. En Espagne, le Groupe de Résistance Antifasciste du Premier Octobre (GRAPO) a été déclaré non-opérationnel suite à l’arrestation d’un certain nombre de ses derniers membres.
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Libellés : Europe, Terrorisme
mardi 14 avril 2009
L'Ordre à Venir...les Conséquences de la Crise
Je viens de publier un article dans la revue américaine World Politics Review sur les conséquences stratégiques et géopolitiques de la crise économique. L'article n'est accessible qu'à ceux qui ont un abonnement. Cependant, il est possible de prendre une période d'essai gratuite de 4 mois, sans engagement. En voici quelques extraits:
The current global financial crisis is unique in that, unlike most previous crises -- which started in the periphery of the world economy, and whose deep and long-lasting impacts were limited to isolated parts of the globe -- today’s crisis is rooted in Wall Street, at the heart of the globalized market, from where it has grown and spread worldwide.
As a result, powerful, globalized economies have taken the first and hardest punches. Although still a bit groggy, they are now struggling to get back on their feet. But while economists discuss how and when economies will emerge from this crisis, strategists are beginning to debate its geopolitical implications.
(...)
The resilience, in particular, of European and emerging economies is attracting attention in many capitals today, not least of all in Washington. This concern is not driven by a sense of solidarity, but instead by security and geopolitical considerations. For obvious reasons, those countries that come out of the crisis faster and stronger (or less weakened) than others stand to gain regional and even global influence. As U.S. Director of National Intelligence Dennis C. Blair stated in his annual threat assessment to Congress [http://www.dni.gov/testimonies/20090212_testimony.pdf ] in February, “[T]he primary near-term security concern of the United States is the global economic crisis and its geopolitical implications.” Meanwhile, in a March interview with Newsweek [http://www.newsweek.com/id/186957], U.S. Deputy Secretary of State James Steinberg confirmed that the Obama administration is very concerned with maintaining America’s position as global leader.
Steinberg’s remarks are not limited to the crisis, but refer more broadly to shifts in the global balance of power. An emerging consensus suggests that America’s “unipolar moment,” [http://www.foreignaffairs.com/articles/46271/charles-krauthammer/the-unipolar-moment], as described by Charles Krauthammer in 1990, has come to an end. As illustrated by the wars in Iraq and Afghanistan, the U.S. ability to take unilateral military action, without the support of its allies, has been weakened. The Russia-Georgia war and the closing of the U.S. air base in Manas, Kyrghyzstan, demonstrated diminished U.S. influence in Central Asia and the Caucasus, along with a corresponding Russian resurgence. Even Slumdog Millionaire’s clean sweep of the latest Academy Awards ceremony can be seen as a signal of a relative decline of American soft power. Finally, the financial crisis revealed that the U.S. economy, for all its might, is not immune to major crashes.
(...)
Just what that new order will look like is difficult to foresee, because it is impossible to forecast with certainty who will emerge from the current crisis a relative winner and who a relative loser. But a closer look at the impact of the crisis in specific areas can offer some ideas about the possible range of strategic and geopolitical outcomes. In particular, the impact of the crisis on military, economic and other less tangible forms of power, as well as on global stability, will prove determinant.
Publié par Europe in the World à 16:44 0 commentaires
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