«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

jeudi 31 janvier 2008

Un Leader d'al-Qaïda Tué au Pakistan

Selon un site internet associé à al-Qaïda, Abu Laith Al-Libi, le chef du Groupe Islamique de Combat en Libye (GICL) et l'une des figures les plus importantes d'al-Qaïda est mort dans un bombardement aérien au Waziristan, Pakistan. Le GICL est un groupe qui a prêté allégeance à al-Qaïda officiellement en novembre 2007, même si les connexions entre les deux groupes étaient déjà anciennes.

Les circonstances de la mort d'Al-Libi sont encore peu claires, mais il semblerait qu'il ait été tué lors d'une opération menée sans doute en collaboration entre la CIA et les militaires pakistanais. La CIA utilise des avions sans pilote qui survolent le territoire pakistanais avec l'accord des militaires et sont capables de lancer des missiles avec plus ou moins de précision.

Le GICL a mené une insurrection en Libye pendant plus d'une décennie contre le régime de Mouammar Khadafi. La transition d'un mouvement de guérilla vers un mouvement terroriste s'est initiée à la fin des années 1990.

De manière très intéressante, les membres du GICL ont depuis longtemps trouvé refuge en Grande-Bretagne, hostile au regime Khadafi - surtout depuis l'attentat de Lockerbie en 1988. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne n'a toujours pas formellement reconnu le GICL comme groupe terroriste, même si les renseignements britanniques coopèrent avec la CIA depuis plusieurs années.

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mercredi 30 janvier 2008

Terrorisme Nucléaire: Mythes et Réalités

En novembre dernier, les polices slovaque et hongroise annonçaient à la presse l’arrestation de trois hommes, deux Hongrois et un Ukrainien, en possession de 481,4 grammes d’uranium. « Les matériaux auraient pu servir à fabriquer ce que l'on appelle une ‘bombe sale’ », déclarait alors le vice-directeur de la police slovaque Michal Kopcik. Cette affaire a réveillé une nouvelle fois le spectre de l’utilisation de matériel nucléaire par un groupe terroriste. Etant donné ce regain d’intérêt, et l’inquiétude qui l’accompagne, il est utile de briser quelques mythes concernant le « terrorisme nucléaire ».

Le risque de terrorisme nucléaire est très faible. Mais il existe. Et n’a en fait rien de neuf. Une vidéo diffusée en 2002 sur al-Jazeera prouvait qu’al-Qaïda avait envisagé une attaque sur une centrale nucléaire en 2001 avant de se rétracter. Bien auparavant, dans les années 1970-80, l’organisation séparatiste basque ETA s’était déjà attaquée à des centrales nucléaires, tout comme d’autres groupes en Argentine, en Afrique du Sud ou en France. Le terrorisme nucléaire est donc un phénomène qui n’est ni nouveau, ni strictement limité aux groupes jihadistes.

Il est également faux de croire que tous les groupes jihadistes cherchent à se procurer l’arme atomique. Beaucoup de groupes terroristes et insurgés sont conscients qu’une explosion atomique, tuant de manière indiscriminée, pourrait annihiler leur soutien populaire et mener à leur perte. Il y a quelques jours, le 25 janvier, l’Emir des Talibans pakistanais, By'atullah Mahsoud, déclarait sur al-Jazeera :

« L’Islam ne nous autorise pas à tuer des femmes et des enfants. Utiliser une bombe nucléaire conduit à la mort de femmes, enfants, faibles et vieux. Nous ne pouvons pas tuer ces gens, et donc nous n’envisageons pas d’utiliser la bombe atomique. (…) Maintenant, nous craignons que les Etats-Unis utilise la bombe atomique contre les populations musulmanes, comme ils l’avaient fait contre les Japonais. Nous craignons la bombe américaine, mais pas la bombe pakistanaise. Au moins, la bombe pakistanaise est aux mains des musulmans ».

Concrètement, le terrorisme nucléaire peut prendre la forme de quatre « scénarios-catastrophes ». Chaque scénario présente un risque et un taux de probabilité différents :

  1. Les terroristes se procurent une bombe atomique déjà fabriquée. La probabilité qu’un état vende une bombe à un groupe terroriste est très faible. Les représailles contre le régime fautif seraient instantanées et totales. Le vol d’une bombe, par contre, reste possible. Quelques experts sont notamment inquiets au regard de l’arsenal russe, très mal protégé. Mais la Russie et les Etats-Unis développent actuellement des efforts croissants pour résoudre ce problème. Dès lors, si les terroristes n’ont pas réussi à voler une bombe jusqu’à présent, leur tâche sera rendue encore plus complexe dans le futur.
  2. Les terroristes construisent eux-mêmes une bombe atomique. Cette hypothèse est tout simplement improbable. Il suffit d’observer les difficultés rencontrées par les états pour développer un programme nucléaire.
  3. Les terroristes créent une « bombe sale », à partir de matériel radioactif volé ou acheté. C’est sans doute l’hypothèse la plus vraisemblable. Selon la Base de Données sur le Trafic Illicite de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA), il y aurait eu 1080 incidents liés au trafic de matériaux nucléaires ou radioactifs découverts entre 1993 et 2006. Ces incidents se sont multipliés ces dernières années, le cas slovaque étant l’un des derniers en date. Cependant, deux éléments permettent de relativiser ces chiffres. En premier lieu, même s’il existe une demande pour de tels matériaux, les vendeurs semblent éprouver des difficultés à trouver des acheteurs. Ainsi, par exemple, en 1994 un groupe d’individus a essayé de vendre de l’uranium hautement enrichi en République Tchèque. Après plusieurs mois, ils ont été arrêtés alors qu’ils n’avaient toujours pas trouvé d’amateurs. En second lieu, les dégâts posés par une « bombe sale » sont très incertains. L’attaque au gaz sarin à Tokyo, qui n’a tué que 10 personnes, a démontré que les produits chimiques font souvent plus de peur que de mal.
  4. Les terroristes explosent un avion sur une centrale nucléaire. Dans ce dernier scénario, la principale difficulté serait de « crasher » l’avion avec suffisamment de précision pour faire exploser le réacteur. En outre, selon plusieurs experts américains, les dommages causés par une telle attaque sur le réacteur seraient limités, voire insignifiants.

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mardi 29 janvier 2008

AIEA: Combattre le Trafic de Matériaux Nucléaires et Radioactifs

Le mois dernier, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) a publié un rapport très instructif intitulé « Combattre le Trafic Illicite de Matériaux Nucléaires et Radioactifs ». Ce rapport très complet, destiné principalement aux institutions qui travaillent dans le domaine nucléaire, traite des risques liés au trafic de substances radioactives et des solutions disponibles pour empêcher un tel trafic.

Selon l’AIEA, « il est reconnu que les groupes terroristes ont essayé d’acquérir de tels matériaux [radioactifs] » (p. 3). En outre, « les progrès dans les technologies de l’information et la disponibilité [accrue] des matériaux radioactifs ont augmenté la probabilité qu’une organisation terroriste ou criminelle puisse se procurer les matériaux, les composants ou l’expertise nécessaires pour construire une engin explosif nucléaire ou une bombe radioactive » (p. 4).

L’organisation basée à Vienne identifie deux principales menaces : les « bombes sales » qui dispersent des substances radioactives en explosant, et les bombes nucléaires. Un prochain article reviendra plus en détail sur les risques de voir un groupe terroriste obtenir de telles armes.

Des matériaux nucléaires ou radioactifs peuvent arriver en de mauvaises mains de différentes manières. Dans certains cas, les voleurs agissent sans aide extérieure. Dans d’autres, ils bénéficient d’une aide interne, grassement rétribuée. Dans d’autres cas encore, des matériaux sont simplement perdus ou mal étiquetés, échappent aux contrôles de sécurité, et peuvent donc tomber plus facilement aux mains de gens mal intentionnés.

Le rapport de l’AIEA souligne l’importance de la collaboration internationale dans la lutte contre le trafic de matériaux nucléaires et radioactifs. « Il est clair que le développement continu et le renforcement de la coopération entre états et agences internationales est un élément vital pour vaincre la menace de terrorisme nucléaire » (p. 33). Quatre agences internationales ont un rôle particulièrement important : l’AIEA, Europol, Interpol et l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD).

Le rapport détermine plusieurs mesures qui devraient être prises par les différentes agences nationales et internationales afin d’empêcher le trafic illégal de matières dangereuses. Ces mesures comprennent : des inspections des infrastructures abritant des matières radioactives ou nucléaires ; des vérifications constantes que les pertes ou vols de tels matériaux sont rapportés ; et le maintien de contacts avec les institutions qui disposent de ces matériaux.

Enfin, le rapport propose quatre grands principes destinés à réduire le risque de voir un jour une « bombe sale » aux mains de terroristes :

  1. Supprimer l'opportunité: Mesurer et accroître le niveau de sécurité des infrastructures d'institutions en contact avec des matériaux nucléaires ou radioactifs.
  2. Diminuer les motivations: Convaincre les terroristes et criminels que la vente ou l'utilisation de ces matériaux n'est ni bénéficaire, ni efficace.
  3. Augmenter la probabilité d'arrêter les coupables: Améliorer les systèmes de renseignement et la coopération pour arrêter les trafiquants.
  4. Accroître les sanctions: Condamner le trafic et l'utilisation de ces matériaux par des peines de prisons longues et des amendes très élevées pour dissuader les trafiquants.

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State of the Union 2008: Extraits et Commentaires

Le Président américain George W. Bush a délivré son dernier discours sur l'Etat de l'Union, un discours annuel devant le Congrès sur les questions principales qui concernent l'Amérique. Cette année, l'emphase était surtout mise sur l'économie et le projet de relance économique lancé par l'administration. Néanmoins, la "guerre contre le terrorisme" constituait également une part importante du discours.

Bush a commencé par rappeler l'omniprésence de la menace terroriste:

In the past seven years, we've also seen the images that have sobered us.
We've watched throngs of mourners in Lebanon and Pakistan carrying the caskets of beloved leaders taken by the assassins' hands. We've seen wedding guests in blood-soaked finery staggering from a hotel in Jordan, Afghans and Iraqis blown up in mosques and markets, and trains in London and Madrid ripped apart by bombs.
On a clear September day, we saw thousands of our fellow citizens taken from us in an instant.
En parlant de l'Afghanistan, Bush a dépeint une image plutôt embellie de la situation:

a young democracy where boys and girls are going to school. New roads and hospitals are being built. And people are looking to the future with new hope.


Derrière cette belle rhétorique se cache une réalité moins rose. Les forces de la coalition sont en difficultés en Afghanistan. Les Talibans sont toujours extrêmement puissants dans certaines régions, et semblent disposer d'un "sanctuaire" au Pakistan, alors que Islamabad se montre relativement peu enclin à mener de larges opérations militaires à la frontière afghane, de peur de déclencher une révolte populaire. Alors que les Talibans se renforcent, la coalition s'affaiblit puisque plusieurs pays retirent ou menacent de retirer leurs troupes. Les 3.200 soldats américains supplémentaires changeront sans doute peu de chose. La guerre risque d'être encore longue...

En abordant l'Irak devant le Congrès, Bush a pu mesurer l'impact des succès du général Petraeus. Pour la première fois depuis le début de la guerre, le Président a reçu des applaudissements tant des républicains que des démocrates.

One year ago, our enemies were succeeding in their efforts to plunge Iraq into chaos, so we reviewed our strategy and changed course. We launched a surge of American forces into Iraq. We gave our troops a new mission: Work with the Iraqi forces to protect the Iraqi people, pursue the enemy in his strongholds, and deny the terrorists sanctuary anywhere in the country. The Iraqi people quickly realized that something dramatic had happened.

(...) When we met last year, many said that containing the violence was impossible. A year later, high-profile terrorist attacks are down; civilian deaths are down; sectarian killings are down.


Bush a souligné ces succès, et rappelé que le contingent américain en Irak va diminuer dans le courant de l'année 2008. Néanmoins, a-t-il insisté, les Etats-Unis ne peuvent quitter l'Irak prochainement, sous peine de voir le pays resombrer dans le chaos. Dès lors, les troupes vont continuer leurs opérations. Les forces de sécurité irakiennes et les forces de police vont continuer à être formées. Et le processus de réconciliation encouragé. Petraeus espère pouvoir maintenir ses troupes pendant plusieurs années encore. Pour cela, il aura besoin du soutien du Congrès. Pour le moment, ses succès lui sont favorables...

Notons, pour conclure, que le discours de Bush était empreint, comme souvent, d'une petite note d'idéalisme:
The mission in Iraq has been difficult and trying for our nation, but it is in the vital interest of the United States that we succeed.
A free Iraq will deny al Qaeda a safe haven. A free Iraq will show millions across the Middle East that a future of liberty is possible. A free Iraq will be a friend of America, a partner in fighting terror and a source of stability in a dangerous part of the world.
Un Irak libre est certainement mieux pour les Irakiens. Mais il est peu probable que le terreau fertile pour le terrorisme créé par des années de guerre disparaisse du jour au lendemain. En outre, un Irak démocratique peut s'avérer plus vulnérable au terrorisme. Enfin, un Irak démocratique ne produira pas forcément un régime favorable aux Etats-Unis.

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lundi 28 janvier 2008

Distinguer Terrorisme et Insurrection

Le mot « terrorisme » est parfois mis à toutes les sauces. Dans un stade de football, les hooligans deviennent des « terroristes » des gradins ; et sur l’autoroute, les chauffards deviennent des « terroristes » au volant. Il s’agit là bien évidemment d’une utilisation erronée du terme. Pourtant, cet exemple grossier souligne une vraie lacune : l’absence de définition du mot terrorisme. Ou, pour être plus précis, l’absence de consensus autour d’une définition.

L’une des définitions les plus souvent citées, celle du FBI, la police fédérale américaine, décrit le terrorisme comme « l’usage illégal de la force ou de la violence contre des personnes ou des propriétés dans le but d’intimider ou de contraindre un gouvernement, la population civile, ou toute partie, dans la poursuite d’objectifs sociaux ou politiques ».

On parle souvent de terrorismes, au pluriel. Cela permet de souligner la multiplicité de groupes qui s'étend du terrorisme d'extrême-gauche au terrorisme d'extrême-droite, du terrorisme religieux au terrorisme non-religieux, ou encore du terrorisme "totalitaire" (c'est-à-dire avec une projet de société global) au terrorisme à cause unique (ex: Front de Libération des Animaux).

Il ne s’agit pas ici de faire l’inventaire de toutes les définitions existantes. Ni même d’en créer une nouvelle qui viendrait s’ajouter au nombre. Les raisons de l’absence de consensus sont liées tant à la complexité du phénomène qu’à sa portée politique (« les terroristes des uns sont les combattants pour la liberté des autres »). L’objectif de ce court article est d’établir la distinction entre terrorisme et insurrection, deux termes souvent utilisés de manière indifférenciée.

Une insurrection, comme le terrorisme, est une forme de guerre « asymétrique ». Elle oppose un groupe armé aux forces d’un état. Une insurrection est souvent reconnaissable aux méthodes de « guérilla » employées. La distinction entre terroristes et insurgés est parfois floue. Néanmoins, quelques critères permettent de différencier les deux groupes :

  • Nombre : Les groupes terroristes n’ont pas besoin de beaucoup de membres pour mener leurs actions contrairement aux insurgés. Cinq individus peuvent créer une cellule terroriste. Plusieurs dizaines d’insurgés sont nécessaires pour former une compagnie.
  • Organisation : Les groupes terroristes sont souvent divisés en petites cellules, alors que les groupes insurgés suivent une organisation copiée sur le modèle militaire (unités, bataillons, divisions). Alors que les insurgés s’organisent souvent sous un modèle hiérarchique strict, les terroristes ont tendance à avoir une organisation plus lâche.
  • Objectifs : Les groupes insurgés ont presque systématiquement des revendications territoriales alors que les groupes terroristes peuvent se limiter – mais ne se limitent pas toujours – à vouloir modifier une orientation politique ou sociale (les mouvements de libération des animaux par exemple)
  • Cibles : Les terroristes visent des cibles symboliques. Cela comprend des monuments importants ainsi que la population civile. Les insurgés essayent en général d’épargner la population (qu’ils essayent plutôt de rallier à leur cause), et s’attaquent essentiellement aux forces armées.
  • Tactiques : Les terroristes montrent une nette préférence pour les explosifs. Et, depuis quelques années, la méthode de l’attentat-suicide s’est popularisée dans certaines régions du monde, comme en Afghanistan et au Maghreb. Les insurgés privilégient les embuscades et les attaques-éclairs, souvent au moyen de fusils d’assaut.
  • Environnement : Les terroristes favorisent le territoire urbain alors que les insurgés trouvent souvent refuge en milieu rural.

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