«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

jeudi 10 juillet 2008

Sur la Nature du Jihad en Europe (3)

A ce stade du débat sur la forme du jihad (plutôt que sa nature, je reconnais le choix maladroit du mot) en Europe (car précisons encore que les conclusions tirées sur le jihad en Europe sont difficilement voire impossible a étendre au-delà de nos frontières) mené avec Jospeh Henrotin, je pense que nous sommes parvenu à centrer la discussion sur l'essentiel et à degager une vision de la forme contemporaine d'AQ qui me semble assez réaliste. Je vais résumer ici mes idées en l'état du débat.

  1. Le leadership d'AQ est encore vivant et continue de contrôler l'idéologie du groupe, via les différents messages videos, les écrits, les fatwas, les forums...
  2. Outre l'idéologie, AQ-central contrôle encore et toujours la stratégie globale du groupe. A ce niveau, il faut penser AQ comme une insurrection glocale (comme décrit dans mon article dans le dernier DSI), c'est-à-dire une insurrection globale qui prend appui sur des structures et des réseaux locaux. Une insurrection varie entre trois pôles tactiques (toujours voir DSI): conventionnel, guérrilla et terrorisme. Dans le cas d'AQ-Europe (je fais ici référence aux jihadistes européens en utilisant ce terme par facilité, l'existence d'une structure commune n'ayant pas été démontrée), la désorganisation du groupe et l'opposition des services de sécurité confinent le groupe au pôle terrorisme.
  3. Comme Jospeh le souligne très justement, la stratégie d'AQ doit être vue dans le long terme, et non le court terme. L'un des meilleurs exemples, selon moi, est apparu en Espagne. Après les attentats de Madrid, on aurait pu croire qu'AQ allait se satisfaire du retrait des troupes espagnoles d'Irak (succès a court terme). Cependant, quelques jours plus tard, une bombe était retrouvée sur une voie ferrée du TGV espagnol, indiquant une continuation de la campagne de terreur (confirmée par le maintien de cellules jihadistes en Espagne jusqu'à ce jour). Evidemment, il faut s'interroger sur les liens entre les différentes cellules jihadistes (AQ-central qui a cautioné Madrid aurait-il reconnu l'attentat sur le TGV? Etait-ce le fait d'une cellule liée à celle de Madrid? En d'autres mots, AQ-central visait-il juste le court terme en Espagne, ou le court et le long terme? Ou bien uniquement le long terme, le retrait des troupes d'Irak ayant été une conséquence non planifiée?)
  4. Au niveau des formes d'action, les activités d'AQ-Europe sont vastes, allant de la propagande au recrutement, en passant par les activités de financement, les attaques, et même l'entrainement. Cependant, sur ce dernier point, l'entrainement, il me semble que le role d'AQ-central reste encore important, étant donné le rôle crucial que joue le Pakistan à cet égard. En outre, la structure en réseau d'AQ est aussi extrêmement importante au niveau operationnel. En effet, certains jihadistes reçoivent par exemple leur formation dans les camps d'AQ-Maghreb. Aussi, il semblerait qu'AQ-central avait reconnu le GSPC algérien (Groupe Salafiste pour la Predication et le Combat) comme "AQ-Maghreb" en 2007, notamment afin de bénéficier des réseaux du GSPC en Europe (surtout pour les apects de recrutement et de financement).
  5. Au niveau de la structure locale d'AQ-Europe, il y a co-existence entre des cellules dépendant directement d'AQ-central (c'est-à-dire reconnues par Ben Laden et dont le leader est en lien avec le leadership central), des cellules dépendant indirectement d'AQ-central (cellules dont le leader n'est pas en contact direct avec le leadership central, mais le lien existe), des cellules auto-radicalisées (plusieurs individus dont le leader s'est auto-radicalisé via internet ou d'autres medias, se regroupent sous forme de cellule), et enfin les loups solitaires ou lonewolves (individus auto-radicalisés et agissant seuls).
  6. L'un des objectifs d'AQ (mais seulement l'un de ces objectifs) est de créer une psychose au sein des services de sécurité européens, de créer une dispersion des moyens de lutte contre le terrorisme islamique et une dérive securitaire qui debouche, à terme, sur une aliénation des populations européennes pour ce système sécuritaire et sur un ecroulement financier de l'Occident.

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