«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

lundi 11 août 2008

Pas de Recrudescence de la Violence en Algérie

L'Algérie a encore été marquée par deux attentats ce week-end. Samedi, un kamikaze a fait exploser sa voiture contre un poste de police dans la ville côtière de Zemmouri, à l'est d'Alger. L'attaque a fait 8 morts et 19 blessés. Dimanche, trois policiers ont été blessés à Tighzirt, en Kabylie, lors de l'explosion d'une bombe.

Ces deux attaques, bien qu'encore non revendiquée, son très probablement l'oeuvre d'al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) étant donné la méthode utilisée (attentat suicide) et le lieu de l'attaque (la Kabylie et la région de Boumerdès sont deux fiefs d'AQMI.

Pour autant, ne concluons pas trop vite à une "recrudescence de la violence" comme mentionné un peu partout dans la presse. En effet, pour qu'il y ait recrudescence, il faudrait d'abord qu'il y ait eu une accalmie, ce qui n'est pas le cas. En outre, le terme "recrudescence" donne la fausse impression d'un renforcement stucturel d'AQMI, ce qui n'est pas le cas, comme je l'ai expliqué dans Terrorism Focus.

En réalité, ces nouvelles attaques s'inscrivent pleinement dans l'évolution idéologique, tactique et stratégique de l'insurrection algérienne. D'un point de vue idéologique tout d'abord, l'insurrection a parcouru un long chemin depuis le Mouvement Islamique Armé (MIA) dans les années 1980 jusqu'à AQMI, en passant par le GIA et le GSPC. Chaque groupe, bien qu'islamiste, avait une vision différente de l'Islam et du jihad, et des divisions existaient même au sein de chaque groupe. Certains membres du GIA, par exemple, prônaient un retour à la vie politique aussi vite que possible. Et de nombreux membres du GSPC ne se retrouvaient pas du tout dans l'idéologie radicale d'al-Qaïda.

D'un point de vue stratégique, l'évolution de l'insurrection est assez importante également. Le GIA et le GSPC avaient un objectif local, alors qu'AQMI se situe dans le contexte global d'al-Qaïda, devenant ainsi une insurrection glocale. Cette transition ne s'est pas faite en un jour, mais est plutôt le fruit d'un long processus débutant sous l'impulsion de certains émirs du GSPC, et se poursuivant depuis le changement officiel de nom en 2007. Depuis lors, le nombre d'attaques ou de menaces contre des intérêts étrangers en Algérie se sont multipliés (alors que le GIA utilisait de telles tactiques dans un objectif local). AQMI a également étendu son aire d'influence à l'ensemble du Maghreb, en créant notamment des liens avec le GICM au Maroc. De même, AQMI s'est montré actif sur le front irakien en envoyant un grand nombre de volontaires.

D'un point de vue tactique, AQMI s'est déplacé du pôle de guérilla vers le pôle du terrorisme, en abandonnant les tactiques typiques de mouvements de guérilla (embuscades, fusillades, contrôle de territoires,...) au profit de tactiques inspirées des fronts irakiens et afghans. Depuis 2007, le nombre d'attaques à l'arme à feu a diminué, alors que le nombre d'attaques à l'explosif se sont multipliées. Les attentats suicides ont également fait leur apparition en Algérie en 2007.

Dans le cas d'AQMI, il faut interpréter tous ces changements comme le résultat de pressions internes et externes: certains membres du GSPC voulaient fusionner avec al-Qaïda; mais le déclin de l'insurrection, poussée dans ses retranchements, a aussi laissé peu d'autres choix aux insurgés. AQMI ne disposant que de 300 à 400 membres, il lui est difficile de développer la même stratégie et tactiques que le GIA de 1993 fort de quelques 13.000 hommes.

C'est donc à la lumière de cette évolution qu'il faut interpréter les récentes attaques d'AQMI. Il s'agit d'attaques terroristes menées par un groupe en déclin, qui recourt à l'usage de la terreur parce que c'est tout ce qu'il lui reste.

Aucun commentaire: