«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

jeudi 20 mars 2008

Irak-Afghanistan : La Guerre par les Airs

NOTE: L'article suivant avait été écrit à la demande du journal Le Soir il y a plus d'un mois. Comme il n'a finalement jamais été publié, je le met à votre disposition.

Dans le cadre des opérations militaires au Moyen-Orient, les Etats-Unis ont de plus en plus recours à la force aérienne. En 2007, il y a eu cinq fois plus de bombardements aériens en Irak que l’année précédente. Le nombre de bombes est passé de quatre par semaine à quatre par jour. En Afghanistan, les frappes aériennes étaient 20 fois plus nombreuses en 2007 que deux ans auparavant. Cette tendance pourrait se confirmer cette année.

Dernière illustration : l’opération « Phantom Phoenix ». Le 10 janvier, afin d’appuyer l’offensive américaine contre la branche irakienne d’al-Qaïda, deux bombardiers B-1 et quatre chasseurs F-16 larguaient 20 tonnes de bombes en 10 minutes dans la périphérie de Bagdad.

Une stratégie offensive
L’accroissement des bombardements aériens en Irak correspond au changement de stratégie initié par le général David Petraeus qui commande la force multinationale. La nouvelle stratégie, plus agressive, recommande de poursuivre les insurgés jusque dans les endroits les plus reculés. Tout en protégeant la population locale.

En Afghanistan, par contre, l’augmentation des bombardements a été plutôt réactive. Elle a fait suite à l’offensive talibane de 2006. En Irak comme en Afghanistan, le recours accru à l’aviation correspond à un nombre plus élevé de combats au sol. Mais pas seulement.

« Nous disposons d’un meilleur système de renseignements », explique le lieutenant-colonel James Gavrilis, expert en contre-insurrection. « Grâce à un nombre croissant d’alliés au sein de la population, nous recevons davantage d’informations sur l’ennemi et les endroits où il se cache. Nous pouvons alors lancer plus de bombes, avec plus de précision ».

Colin Kahl, professeur spécialisé sur l’Irak à l’université de Georgetown, souligne également que « certaines frappes aériennes sont destinées à protéger les troupes au sol. Pas à décimer des villages. » Une bombe qui explose à plusieurs mètres au dessus d’une route permet de faire sauter toutes les mines et autres explosifs qui jalonnent les dangereuses routes irakiennes.

L’utilisation des frappes aériennes présente aussi des inconvénients. En fait, elles sont généralement déconseillées, du moins en partie, lors d’opérations contre-insurrectionnelles. L’objectif militaire de ces dernières consiste très souvent à chasser des insurgés qui se cachent parmi la population. Cet objectif militaire se double d’un objectif politique : gagner le soutien de la populations locale. Difficile, dans de telles conditions, d’utiliser la force aérienne.

Le général Petraeus lui-même, dans son manuel sur la contre-insurrection, explique que « les bombardements, même avec les armes les plus précises, peuvent tuer par mégarde des civils. (…) Une frappe aérienne peut causer des dommages collatéraux qui vont provoquer le mécontentement de la population et servir la propagande des insurgés. (…) Pour toutes ces raisons, la force aérienne doit être utilisée avec précaution ».

« Bombarder n’est pas la meilleure option »
Les risques liés aux bombardements aériens sont déjà apparus clairement en Afghanistan. « Lorsque les bombardements ont quadruplé, le nombre de victimes civiles a triplé », explique Marc Garlasco, expert militaire pour l’organisation Human Rights Watch. « En Irak, le nombre de victimes civiles lié aux bombardements n’est pas disponible. Mais je suis très inquiet ».

« Le bombardement n’est pas la meilleure option dans le cadre d’opérations de contre-insurrection », reconnaît James Gavrilis, des forces spéciales américaines. « Mais ils peuvent être très efficaces. A condition d’être précis. Et de se justifier auprès de la population. Je crois que les bombardements de 2007 ont eu des conséquences positives en Irak ».

Les frappes aériennes offrent un dernier avantage. Lorsqu’un avion tire un missile sur un repère où se cachent des terroristes, cela évite un combat dangereux pour les troupes au sol. Une bombe peut épargner la vie de plusieurs soldats. Cet argument seul ne suffit pas à expliquer l’augmentation des bombardements. Au contraire, la nouvelle stratégie du général Petraeus expose les soldats à beaucoup plus de risques qu’auparavant. Ainsi, 2007 a été l’année la plus meurtrière pour les militaires américains en Irak.

Difficile de savoir si l’augmentation des bombardements est une manœuvre consciente pour épargner les soldats ou pas. Mais, politiquement, l’importance de l’argument ne fait aucun doute. Le support populaire pour la guerre en Irak est au plus bas. La pression pour « ramener les troupes à la maison » s’accroît. Et Petraeus est conscient que le soutien politique ne tient peut-être qu’à une vie.

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