«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

lundi 31 mars 2008

Renseignements Canadiens: Radicalisation et Jihad en Occident

Le premier procès de l’un des 15 individus suspectés d’appartenir à une cellule jihadiste au Canada a débuté mardi dernier. La cellule avait été démantelée en juin 2006 à Toronto. Selon les autorités canadiennes, la cellule avait planifié plusieurs attaques, dont l’assaut du parlement qui se serait achevé par la décapitation du premier ministre, Stephen Harper.

A l’occasion du début de ce procès, la Fondation NEFA publie un document secret du Canadian Security Intelligence Service (CSIS), le service de renseignements canadien, qui a fait l’objet d’une fuite. Le rapport est désormais disponible, bien qu’une partie du document soit cachée. Le document, intitulé « Radicalisation et Jihad en Occident », avait été rédigé en juin 2006, juste après la révélation du complot. Extraits et commentaires :

« La menace de l’extrémisme islamiste domestique contre le Canada est croissante. (…) Les phénomènes de ‘radicalisation’ et ‘jihadisation’ sont très complexes. La radicalisation a lieu lorsque les musulmans rejettent les croyances et les pratiques communes, et adoptent une interprétation de l’islam étroite, littérale, et fondamentaliste. La jihadisation a lieu lorsque les musulmans radicalisés croient que la violence en défense de l’islam devient justifiée. Chaque radicalisé ne va pas se jihadiser, mais la transition peut se dérouler assez rapidement. (…) Les jeunes membres sont de plus en plus auto-radicalisés. »

Cette vision en deux temps de la ‘radicalisation’ et de la ‘jihadisation’ semble être la vision partagée au sein de la communauté du renseignement. Un modèle progressif similaire avait déjà été développé par les services de renseignement néerlandais dans un rapport plus élaboré. Cette vision est très intéressante parce qu’elle permet, d’une part, de nuancer la vision parfois simpliste connotée par l’expression « extrémisme islamiste », et, d’autre part, de rendre compte du faible nombre de combattants jihadistes comparé à la population musulmane globale. L’idée que la jihadisation soit liée à un changement perceptif par rapport à la violence est, selon moi, centrale. Enfin, la notion "d’auto-radicalisation" fait clairement référence aux travaux de Marc Sageman.

« (…) Lorsque quelqu’un se radicalise, il y a souvent un changement physique et psychologique comme se laisser pousser la barbe, adopter la mode vestimentaire musulmane, critiquer tous ceux qui ne partagent pas les mêmes vues, et s’isoler du monde extérieur. »

Le rapport du CSIS précise que l’isolement est le fruit de la radicalisation et non l’inverse. Dans la littérature sur le terrorisme, la radicalisation est parfois décrite comme étant le résultat d’un isolement du monde extérieur, donc l’opposé de ce qu’affirme le CSIS. Pourtant, les derniers grands complots en Europe ont été le fait d’individus souvent décrits comme bien intégrés. Une partie de la littérature précise que ce n’est pas l’isolement en temps que tel, mais la rupture avec l’environnement originel (la famille qui vit encore à l’étranger dans le cas d’immigrés par exemple) qui explique la radicalisation. Mais ici encore, cela n’explique pas la radicalisation des individus nés et élevés en Europe. Dans tous les cas, il est certain qu’il y a un processus de renforcement mutuel entre isolement et radicalisation, quel que soit le facteur initiant.

« (…) Les facteurs de radicalisation identifiés par le CSIS et d’autres services de renseignement occidentaux comprennent la croyance dans la nécessité de défendre l’islam contre la perception d’une agression occidentale, l’influence d’un leader spirituel, l’influence d’un membre de la famille déjà radicalisé, et la participation dans des camps d’entraînement à l’étranger. »

Il s’agit ici d’un échantillon restreint des causes de la radicalisation. On notera également l’absence de mention de possibles ‘causes profondes’, telles que les facteurs socio-économiques. La mention de la participation dans des camps d’entraînements est assez intéressante car elle suppose que cette participation peut précéder la décision de prendre part au jihad. En règle générale, cependant, la jihadisation précède l’entraînement jihadiste.

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