«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

mercredi 26 mars 2008

Qui Devient un Terroriste et Pourquoi

La question de savoir qui devient un terroriste et pourquoi ? est sans aucun doute l’une des plus passionnantes dans la littérature spécialisée sur le terrorisme. L’une des raisons évidentes de cet intérêt réside tout simplement dans l’absence de réponse à cette question. L’un des ouvrages les plus remarquables à ce jour demeure le livre de Rex Hudson, « Who Becomes a Terrorist and Why ».

Ces derniers jours, deux articles intéressants parus dans la presse sont venus compléter l’abondante littérature. Au travers de deux cas particuliers, on peut distinguer quelques unes des grandes causes du terrorisme.

Un premier article paru dans le Washington Post raconte la vie de Khalid al-Hubayshi, un Saoudien aujourd’hui âgé de 32 ans, ancien membre d’al-Qaïda. Khalid avait décidé de rejoindre le jihad en 1995. Il était alors un jeune étudiant universitaire à la recherche d’un but dans la vie. La vision des images de Bosnie et le sentiment que personne ne prenait la défense des musulmans l’ont converti au jihad. Cependant, entre temps, la guerre en Bosnie avait pris fin. Il a alors décidé de partir s’entraîner aux Philippines, avant de rejoindre l’Afghanistan en 1997. Deux ans plus tard, il quitte l’Afghanistan. Son motif : il ne voulait pas donner sa vie dans une lutte purement afghane qui ne le concernait pas. Il retourne en Afghanistan en 2001, néanmoins, et rencontre Oussama ben Laden. Après l’offensive américaine, il se retrouve caché à Tora Bora avec ben Laden, attendant que les Américains débarquent à pied pour les combattre. Mais les bombardements aériens se rapprochant, ben Laden prend la fuite, abandonnant Khalid et ses hommes. Plus tard, Khalid sera arrêté et envoyé à Guantanamo. Il a été libéré en 2006, avec la haine non plus contre l’occident, mais contre le leader d’al-Qaïda qui l’a trahi.

L’histoire de Khalid souligne tout d’abord une fois de plus que les étudiants sont une cible privilégiée des recruteurs d’al-Qaïda. En outre, son expérience démontre l’importance des images (que ce soit via des films de propagande ou via les médias) dans le recrutement. En effet, les photos ou les films ont une charge émotionnelle forte, ce qui touche parfois une corde sensible chez certains individus. Une image peut alors devenir l’élément déclencheur dans la décision de prendre part au jihad. L’histoire de Khalid souligne aussi l’importance de l’idéologie chez certains terroristes. D’autres individus, à l’inverse, sont motivés par l’argument économique. Enfin, et de manière très intéressante, la déception à l’égard d’al-Qaïda ressentie par Khalid met en exergue un aspect des groupes terroristes largement sous-étudié : les raisons qui poussent un terroriste à « se ranger ». Michael Jacobson, du Washington Institute for Near East Policy a publié plusieurs articles à ce sujet.

Le deuxième article venu étoffer la littérature sur les causes du terrorisme s’intitule « So you wanna be a Hizbollah fighter ? » paru sur le blog de Time Magazine. A partir de plusieurs interviews avec des membres du Hezbollah, le journaliste isole quelques constantes. La plupart des membres du groupe libanais sont recrutés très jeunes. Ils participent à des stages d’endoctrinement. Dès le début de ces stages, le Hezbollah insiste sur l’idéal de martyre et organise les enfants par « cellules » de cinq, chacune ayant un chef. Les « cellules » participent à des jeux du type chasse au trésor, et se familiarisent par la même occasion avec le fonctionnement des cellules. Une fois un peu plus grands, les enfants sont « exposés » aux mitraillettes AK-47. Tout au long de la formation, les « chefs de stages » identifient les caractéristiques de chaque individu. Ceux qui montrent une grande patience, seront en missions d’observation, les plus intelligents iront dans l’espionnage ou le contre-espionnage. Une fois la formation militaire achevée, les combattants sont envoyés en stage en Iran puis intégrés dans une unité avec des « anciens ».

Le cas libanais montre l’importance du processus de socialisation dans la formation des terroristes. Comme déjà expliqué précédemment dans le cas palestinien, les enfants sont souvent exposés à la violence et à la propagande très jeunes. Etant donné leur faible résistance aux techniques d’endoctrinement, il n’est pas surprenant que beaucoup d’entre eux se retrouvent dans les rangs terroristes ou insurgés.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a quelque chose qui me perturbe.Dans les deux cas on semblent avoir à faire à des "fantassins" et pas des gens en contact direct avec l'activité proprement terroriste de leur organisation.

Ce n'est pas exactement le même type d'activité même si certains des ressorts sont sans doute identiques.

Europe in the World a dit…

Il est effectivement important de souligner qu'il y a différentes fonctions au sein d'une organisation terroriste. Il existe par exemple des comptables qui peuvent avoir des motivations bien différentes que celles qui poussent un individu à se faire exploser au milieu de la foule. Mais peut-être les motivations ne sont-elles pas si différentes. Dans le cas du Hezbollah, par exemple, c'est le groupe qui assigne les fonctions en prenant en compte les capacités de chaque individu...
La littérature sur le terrorisme est confrontée à la multitude des causes. Pour pallier ce problème, de nombreuses solutions ont été empoyées par les scientifiques, allant du relativisme total au modèles intégrés. Selon moi, quelques-uns des modèles les plus intéressants sont ceux qui distinguent entre leadership et "fantassins" pour reprendre l'expression de ZI; ou encore la distinction entre greed vs grievance (appât du gain vs griefs).
Aucun modèle ne s'est imposé dans la littérature. Et je pense qu'un modèle qui puisse expliquer toutes ls formes est impossible, mais il est possible de s'en approcher. a condition d'accepter la complexité et la multitude des causes potentielles.