«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

jeudi 14 février 2008

"Dans la Tête d'un Terroriste"

Interview. J’ai eu l’occasion de m’entretenir cette semaine avec Jerrold Post, considéré par certains comme ‘le’ grand spécialiste de la psychologie politique. Jerrold Post a travaillé pendant 21 ans pour la CIA (service de renseignement américain) où il étudiait la psychologie des chefs d’états et des terroristes. En 2005, il a présidé un groupe de travail lors du Sommet de Madrid qui réunissait les plus grands experts mondiaux dans le domaine du terrorisme. Il est aujourd’hui professeur à l’université George Washington.

Docteur Post, votre dernier livre publié en décembre 2007 s’intitule The Mind of The Terrorist (Dans la tête d’un terroriste). Pourquoi vouloir entrer dans la tête des terroristes ?
Parce que le terrorisme est en grande partie une guerre psychologique. La réponse doit donc logiquement venir également de la psychologie. Avant de combattre un ennemi, il faut d’abord essayer de le comprendre, de comprendre son comportement et ce qui le pousse à agir. Au cours de mes recherches, je suis parvenu à établir un modèle comportemental qui explique une grande partie du terrorisme. Les terroristes séparatistes, par exemple, sont fidèles à leurs parents qui dénoncent le régime en place. A l’inverse, les terroristes de gauche sont plutôt en désaccord avec l’attitude conformiste de leurs parents vis-à-vis du gouvernement.

Au cours de votre longue carrière, vous avez eu l’occasion de vous entretenir avec un grand nombre de terroristes incarcérés. En temps que psychiatre, quelles conclusions en avez-vous tiré ?
Que les terroristes sont des gens normaux, comme vous et moi. D’un point de vue psychologique, rien ne permet de les différencier. Je n’ai rencontré parmi eux aucun fanatique, aucun psychopathe. Mais des gens qui agissent rationnellement pour une cause à laquelle ils croient. Maintenant, les terroristes partagent quelques caractéristiques communes : ils ont un manque total d’empathie ; une forte tendance à ‘externaliser’, c’est-à-dire à rejeter la faute sur les autres ou sur la société ; ainsi qu’un amour prononcé pour la démagogie et les simplifications extrêmes.

Pourquoi certains individus décident-ils de joindre un groupe terroriste ?
Lorsque j’ai posé cette question aux terroristes, j’ai obtenu systématiquement la même réponse : « Parce que tout le monde le fait ». Le fait de joindre un groupe terroriste est un problème lié à la socialisation. Comment expliquer autrement ces images d’enfants palestiniens qui sa baladent dans la rue une mitraillette à la main alors qu’ils n’ont même pas 8 ans ? C’est le discours des parents, des amis, des imams, des professeurs d’écoles qui pousse les enfants à embrasser le terrorisme. Au travers d’un processus de socialisation, le terrorisme devient normal. Au fond, ce qui importe le plus pour les terroristes n’est pas la cause en soi, mais c’est d’appartenir au groupe.

C’est-à-dire ?
Un jour, Ariel Merari, un collègue de l’université d’Harvard, m’a fait remarquer que les adolescents sont exactement les mêmes partout à travers le monde. En entrant dans une pizzeria de Boston (Etats-Unis), il avait entendu des adolescents y discuter de leur équipe favorite de football américain, les New England Patriots, et de leur héros, la star de l’équipe Tom Brady. Ils disaient qu’un jour, quand ils seraient grands, ils aimeraient être une vedette de football, comme Tom Brady. Dans les camps de réfugiés en Palestine, Ariel m’a dit, c’est la même chose. A la différence près que leur équipe favorite est le Hamas et leurs héros les martyrs. Un jour, quand ils seront grands, ils aimeraient bien être des martyrs, comme leurs héros.

C’est donc un processus sans fin ?
J’en ai bien peur. La guerre contre le terrorisme sera une très longue guerre. Elle va durer pendant des générations et des générations. En fait, à cet instant, la prochaine génération de terroristes est déjà prête.

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