«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

samedi 2 février 2008

"J'Ai Glissé, Chef": Conséquences du 'Rabaissement Social' de l'Armée Américaine sur les Opérations de Contre-Insurrection

L’armée ne suscite plus de vocation en Amérique. Depuis 2004, malgré une campagne de recrutement intense et continue – l’un des premiers coups de fil que j’ai reçu en arrivant aux Etats-Unis était d’un représentant de l’U.S. Army – les recruteurs ne parviennent pas à remplir leurs quotas. Pour résoudre ce problème, l’armée a décidé d’abaisser ses critères de sélection. Conséquence : un déclin en quantité et en qualité des troupes américaines. Avec de potentielles conséquences négatives pour les opérations militaires présentes et futures.

Une étude publiée la semaine dernière par le National Priorities Project a révélé que le pourcentage de nouvelles recrues disposant d’un diplôme d’enseignement secondaire a chuté de 94% en 2003 à 70,7% en 2007. Le seuil de l’armée américaine est normalement fixé à 90%. En outre, davantage d’individus ratant le test d’aptitude ont été acceptés. En 2004, 0,6% des recrues rataient l’examen (un score inférieur à 30%). En 2007, le chiffre avait grimpé jusque 4,1%. De manière générale, les résultats au test d’aptitude ont diminué. Par rapport à 2004, le nombre de recrues dites de « haute qualité » a baissé de plus de 25%.

En plus de l’enseignement et du test d’aptitude, l’armée américaine a également abaissé ses critères en matière de criminalité. Selon le Boston Globe, 11,6% des nouvelles recrues en 2007 ont reçu une « exemption morale ». En d’autres mots, l’armée a fermé les yeux sur leur casier judiciaire, comprenant des faits tels que trafic de drogue, violence ou cambriolages. En 2003, ce pourcentage n’était que de 4,6%.

Cette tendance au ‘rabaissement social’ de l’armée américaine est inquiétant. Tout d’abord, parce que ces individus ont davantage tendance à abandonner l’armée durant leur service, renforçant ainsi le manque de soldats. Ensuite, on peut clairement s’interroger sur le comportement d’anciens criminels sur un champ de bataille. Mais beaucoup plus important : cette tendance nuit gravement à la qualité opérationnelle des troupes sur le terrain.

Des soldats intelligents sont plus efficaces. C’est du moins ce que tend à démontrer une étude réalisée en 2005 par la RAND Corporation, un think tank américain, à la demande du Pentagone. Selon cette étude, par exemple, les soldats qui ont bien réussi au test d’aptitude sont beaucoup plus précis aux exercices de tir. Les soldats intelligents ont aussi plus de chance de réussir une mission déterminée.

En termes de contre-insurrection, l’intelligence de chaque soldat est encore plus importante qu’en combat classique. La nouvelle stratégie en Irak développée par le Général Petraeus met l’accent sur de petites unités, composées de quelques dizaines hommes, disposant de qualités exceptionnelles : compréhension de la culture locale, compréhension de l’ennemi, développement de bonnes relations avec la population, comportement exemplaire, ingéniosité, …

L’apport des nouvelles recrues dans les opérations contre-insurrectionnelles est donc limité. Pire : il pourrait être nuisible. Des soldats peu éduqués peuvent adopter des comportements dommageables pour l’image de l’armée américaine auprès des populations locales. Et ainsi contribuer à la propagande des insurgés.

Il est difficile de prédire à quoi ressembleront les conflits de demain. Mais si la tendance vers les conflits asymétriques se confirme, et que le ‘rabaissement social’ de l’armée américaine se poursuit, il se pourrait que les successeurs de Petraeus se trouvent face à un nouveau dilemme, opposé exact de celui qui se posait avant Petraeus : Maintenant que l’armée a apparemment enfin réussi à développer une stratégie efficace pour vaincre une insurrection, la quantité et la qualité des troupes ne sera peut-être plus suffisante pour la mettre en oeuvre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour, il y a t'il un moyen de connaitre le nombre de cas ou un engagement dans l'armée à permis d'éviter une première condamnation à l'engagé ?
J'avais vu passer des chiffres invérifiablement élevés.

mad

Europe in the World a dit…

Je n'ai personnellement pas ces chiffres. Mon instinct me dit qu'ils ne sont pas très élevés: en 2006, 69.395 hommes et femmes se sont engagés dans l'armée. 8.129 d'entre eux ont bénéficié d'une "exemption morale". Un peu moins de 1.000 seulement avaient été condamnés à une peine de prison d'un an ou plus. A ce que je sache, ces peines étaient déjà écoulées dans la grande majorité des cas, et donc l'armée n'est pas une alternative à la prison, mais plutôt l'une des seules opportunités pour des jeunes gens sans réelles perspectives d'avenir. En outre, plusieurs normes de recrutement de l'armée spécifient que l'engagement dans l'armée ne peut pas être une alternative à une sentence judiciaire.

Anonyme a dit…

Bonjour,
Concernant la contre-insurrection c'est inquiétant, même si l'accent est mis sur les chefs de groupe/chefs de section et que ceux-ci, dans toutes les armées du monde, sont formés à gérer "les cas sociaux"!
Autrement dit, si les risques de "dérapages" existent, ils ne sont pas fondamentalement gênant.
Stéphane TAILLAT