«Rien n'est plus facile que de dénoncer un malfaiteur; rien n'est plus difficile que de le comprendre» ---Fédor Dostoïevski

jeudi 28 février 2008

La Culture Militaire et le Manque de Stimulation pour les Opérations de Contre-Insurrection

Par Chris Kucharski*

Opinion. Le problème rencontré par les Etats-Unis en Irak aujourd’hui est dû au fait que notre armée, en temps qu’institution, et l’infanterie, en temps que culture interne, ne disposent d’aucun incitant pour maintenir la paix. La formation des soldats dans le domaine du maintien de la paix est également négligée. Je suis d’accord que les choses sont en train de changer lentement, grâce à notre expérience en Irak et en Afghanistan, mais il subsiste quelques résistances.




















Chris Kucharski (à droite) avec un policier irakien et un compagnon de peloton à Kirkouk en octobre 2005.

Préserver la paix à l’aide de moyens militaires est vu comme une aberration par rapport au rôle fondamental de l’infanterie qui consiste à rechercher activement et ‘tuer ou capturer l’ennemi’. Aucune médaille n’est décernée à une unité d’infanterie pour avoir maintenu le calme. Les médailles récompensent les actes héroïques dans des moments dangereux. Par exemple, le plus haute médaille qu’un soldat peut recevoir (la médaille d’honneur du Congrès) est remise en temps de guerre uniquement, et cela seulement s’il a fait quelque chose d’aussi honorable que sacrifier sa vie, se faire martyre, pour protéger les autres. En temps de paix, il n’y a que des exploits dérisoires et des médailles ‘d’éloge’. S’il n’y a pas de danger, comment peut-il y avoir des actes héroïques ? Pour beaucoup de personnes occupant des positions au sein du commandement, l’Irak offre une opportunité de faire carrière et de gagner des récompenses de valeur. Tout cela a un impact direct sur notre approche contre-insurrectionnelle.

De 2003 à 2004, j’étais stationné près de Mossoul [en Irak], assigné à la 101ème Aéroportée. J’étais un Lieutenant d’infanterie, chef de Peloton, avec pour mission d’arrêter les pillages dans une université et d’imposer la paix dans les quartiers avoisinants. Durant cette période, j’ai été témoin de deux approches contre-insurrectionnelles différentes, l’une agressive l’autre passive, et j’ai remarqué la tendance naturelle de notre culture militaire à préférer le style agressif au style passif.

J’étais dans la Compagnie Alpha, Brigade d’infanterie ‘Bastogne’ (notre nom venait de la bataille des Ardennes). Nous avions un système de rotation tous les mois avec la Compagnie Charlie (une Compagnie comprend 130 hommes d’infanterie) dans le bâtiment de l’université qui nous servait de quartier général. Lors de la première rotation, les gars de la Compagnie Charlie nous disaient à quel point la ville était chaotique, qu’on leur tirait dessus la nuit, et qu’on leur tirait dessus constamment durant les patrouilles de jour. Ils avaient l’air de prendre du plaisir à raconter leurs récits de guerre. Ils nous recommandaient de faire beaucoup de patrouilles et des raids de nuit parce qu’il y avait énormément de « méchants ».

Dès que nous avons pris le contrôle des patrouilles, nous avons essuyé peu de tirs et de bombardements comparé à l’expérience nocturne de la Compagnie Charlie. Cela nous a pris un certain temps pour comprendre pourquoi. Il est apparu que le commandant de la Compagnie Charlie avait opté pour une approche offensive afin de résoudre le problème de l’insurrection. Ce qui énervait beaucoup la population locale. Il était également dédaigneux à l’égard des autorités de la ville et des habitants. Afin de mettre un terme aux fusillades contre ses troupes, le commandant de la Compagnie Charlie avait accru le nombre de patrouilles à pied, et conduit davantage de raids nocturnes – appelés Isoler et Chercher – qui rendaient les habitants encore plus furieux. Cependant, du côté américain, la Compagnie Charlie était perçue comme plus productive puisqu’elle faisait plus de patrouilles et capturait plus de « méchants ». Quantitativement, la Compagnie Charlie était plus productive que la Compagnie Alpha.

Ma Compagnie, d’un autre côté, se concentrait sur le maintien de la paix, sans mettre le feu aux poudres. Nous avons rencontré des officiels locaux. Pas pour donner des ordres mais pour voir ce qu’on pouvait faire pour aider. A nouveau, cela n’était pas vu comme ‘productif’ au moment de remplir les rapports pour la chaîne de commandement. Conduire raid après raid, et capturer « l’ennemi » constitue la fonction de l’infanterie, sa seule raison d’être.

Après un certain temps, la situation bipolaire s’est accentuée. Les Irakiens locaux pouvaient dire quand la Compagnie Charlie était en charge parce que leur commandant postait deux fois plus de gardes sur le toit [de l’université] et conduisait deux fois plus de patrouilles, parce qu’il y avait deux fois plus d’activité. Sachant que la Compagnie Charlie était en charge, les locaux attaquaient plus souvent. Ensuite, lorsque la Compagnie Alpha arrivait, nous n’avions que la moitié du travail à faire parce qu’il y avait deux fois moins d’attaques.

Lors de mon second tour en Irak, à Kirkouk de 2005 à 2006, j’ai remarqué le même effet dissuasif contre la passivité alors que les unités qui faisaient plus de missions « Isoler et Chercher » et qui avaient un taux plus élevé d’ennemis tués ou capturés recevaient plus d’accolades, plus de médailles et plus de droits à la vantardise. Ils avaient le droit de jouer avec les plus gros jouets – ils recevaient le support aérien et tous les nouveaux gadgets – parce qu’ils en avaient le plus besoin. Ceux qui avaient une préférence pour le « maintien de la paix », qui cherchaient à engager un dialogue avec les leaders locaux et faisaient preuve de patience étaient perçus comme moins productifs que les unités agressives. Ce faible niveau de productivité était en outre mis en évidence lors des briefings hebdomadaires pour les commandants où tous les accomplissements de chaque Compagnie étaient comparés sur un document PowerPoint projeté devant leurs pairs, leurs supérieurs et leurs subordonnés. Les plus hauts commandants remettraient alors en question l’existence des commandants de Compagnies à faible productivité – Que faisaient-ils en Irak ?

Il n’est pas bon d’être vu comme passif ou diplomatique dans une unité d’infanterie. Il n’y a pas de récompense pour cela. En gros, dans l’armée il y a des incitants à être agressif. Ces sentiments agressifs s’accroissent quand quelqu’un essaye de vous tuer. Ensuite, lorsque l’ennemi est introuvable, c’est la population entière qui devient l’ennemi.

C’est là que se trouve la difficulté : en contre-insurrection, une unité agressive est en fait contre-productive, mais notre culture militaire doit encore le reconnaître.

* Chris Kucharski était un officier d'infanterie dans la 101ème Aéroportée de août 2003 à février 2007 durant lesquels il a fait deux tours en Irak. Il poursuit actuellement un Master à la Johns Hopkins University School of Advanced International Studies, Washington DC.

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